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Un métro au pays des kanaks
24 janvier 2014

L'isolement se fait, par moment, cruellement sentir !

NC le Vendredi 24 janvier :

Encore une astreinte "galère" pour la nuit de Jeudi à Vendredi. J'ai dormi 2h et je dois assurer la matinée de consultation seul, le médecin "chef" étant en récupération.

La première urgence de l'astreinte était un homme qui avait une plaie importante au niveau de la cheville. Il participait à une partie de chasse destinée à ramener du gibier pour faire la "coutume" à l'occasion du décès de son frère survenu une semaine auparavant. Il a glissé et sa cheville a ripé contre une roche acérée. Il faudra une bonne heure pour nettoyer la blessure et enlever tous les débris. Les tendons sont à nus mais ne sont pas lésés. Une autre demi-heure est nécessaire pour suturer. Ce type de plaie aurait, en théorie, dû bénéficier d'une exploration au bloc chirurgical, mais le patient s'est totalement opposé à un transfert et une hospitalisation sur Nouméa qui aurait compromis le bon déroulement du protocole des funérailles de son frère.

Au moment où nous terminions la gestion de cette urgence, les pompiers amènent au dispensaire un homme qui a fait, chez lui, un malaise avec perte de connaissance. L'homme est conscient, l'examen clinique retrouve une tension un peu élevée et un abdomen douloureux, rien de très inquiétant. Mais la situation s'aggrave brutalement, la tension chute, l'homme perd connaissance et se met à respirer difficilement. Je dois l'intuber, lui administrer des médicaments afin de tenter de récupérer une tension. Malgré cela il "plafonne" à 60/30. En coordination avec le SAMU il est décidé de tenter un transfert. Ce soir l'ambulancier n'est pas de permanence. De sera l'infirmière qui conduira l'ambulance (elle l'a déjà fait) mais nous devons rappeler Nicolas, l'infirmier référent, qui assurera la permanence en cas de demande de soins durant notre absence. Nous partons en direction de Bourail, une équipe médicale du Centre Hospitalier Territorial de Nouméa est déjà en route pour une "jonction".

Peu avant le col des Roussettes le cœur du patient s'arrête, son abdomen est tendu et a considérablement augmenté de volume. Il a certainement rompu un anévrisme de l'aorte abdominale. Nous faisons demi-tour. J'ai appelé le fils, Ricardo, âgé de 25 ans pour lui annoncer la triste nouvelle. Il est convenu que nous nous retrouvions au dispensaire. Avant notre départ, je l'avais avisé de la gravité de la situation. Je le reçois une nouvelle fois pour lui donner les informations qu'il souhaite avoir. Il est serein !

En nouvelle Calédonie, la tradition kanak impose que la famille s'occupe intégralement des funérailles. Nicolas, qui nous a rejoint, m'informe qu'il faut proposer à la famille de ramener de corps à la tribu avec l'ambulance. Je vais donc m'en charger. La famille habite la tribu de Bâ, à environ 20 km de Houaïlou, sur la route de Ponérihouen. Le cousin de Ricardo me demande si Ricardo peut monter à côté de moi dans l'ambulance.

Durant le trajet nous avons une longue discussion. Ricardo m'explique qu'il travaillait à la mine loin de sa tribu natale. Il y a un an, il a décidé de s'arrêter de travailler pour venir s'occuper 'du vieux" : c'est ainsi qu'il dénomme affectueusement son père !

Il raconte que "quelque chose" l'a guidé dans sa décision de se rapprocher de son père pour s'en occuper et être avec lui et que "les esprits" sont trés présents dans la culture kanak. Il fait le lien avec les autres religions, les croyances et la reconnaissance des phénomènes "surnaturels" pour lesquels il est difficile de trouver une quelconque rationalité. Sa perspicacité m'étonne mais je comprends mieux sa sérénité. A cet instant précis de son existence, il réalisait qu'il avait fait le bon choix en se rapprochant de sa famille !

Je rentre au dispensaire, il est 4h30.

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